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EcoLitt, le projet de recherche sur l'écologie en littérature


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    Journée des éditeurs - 26 février 2015

    Journée des éditeurs - 26 février 2015

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    Rencontre des Masters pro édition avec le monde du livre

    Le livre et l'environnement en question à l'Université d'Angers

    Le Jeudi 26 février à la Maison des Sciences de l'Homme d'Angers, des professionnels du secteur du livre et de l'impression ont échangé sur le thème :

    "L’Environnement, quels enjeux pour les pratiques éditoriales ?"

     

    Chaque année, le master professionnel d’édition de l’Université d’Angers est à l’initiative d’une journée de rencontre où des professionnels du livre (éditeurs, imprimeurs, bibliothécaires, auteurs, libraires...) échangent sur leur pratique. Le projet EcoLitt s’est associé à l’organisation de cette édition 2015, dont le thème était l’environnement. Les participants ont proposé leurs pistes de réflexion concernant la fabrication du livre dans une démarche responsable et respectueuse de l'environnement. Plusieurs éditeurs ont également expliqué la politique éditoriale qu'ils ont choisie en plaçant dans leur catalogue, de fiction ou non, des ouvrages de sensibilité écologique.

     

     

    TABLE RONDE n°1
    Le livre, un objet écologique ?

    Flora Bellouin, éditrice au sein de l’association La Marge, un atelier d’édition participatif

    Thierry Forges, président de Docuworld, entreprise d’imprimerie de la région nantaise

    Il n’y a pas qu’une façon de fabriquer un livre

    Alors que la très large majorité des livres sont fabriqués chez des imprimeurs qui utilisent traditionnellement l’impression offset, la technique la plus économique dès lors qu’il s’agit de gros tirages, des alternatives existent et proposent des réponses à plus petite échelle pour une diffusion du livre en circuit court. Deux exemples très différents nous sont donnés avec L’association La Marge d’une part, représentée par Flora Bellouin, et l’entreprise Docuworld d’autre part, incarnée par son président Thierry Forge.

    Le travail des cartoneras, l’art de réenchanter le rebut

    L’association de Flora Bellouin est un atelier d’édition participatif, en lien avec un large réseau de « cartoneras » d’Amérique du Sud, c’est-à-dire des artistes qui fabriquent eux-mêmes leurs livres avec des matériaux de récupération, essentiellement du carton. Les cartoneras sont nés en Argentine, ils ont lancé leur activité en réaction à la crise qu’a subie le pays et qui a favorisé l’essor de la récupération et le recours à un matériau pauvre, le carton. Les cartons sont décorés et reliés à la main, tout le processus de fabrication du livre est artisanal et crée des pièces uniques.

    Le travail de recyclage ne s’inscrit pas réellement dans une démarche écologique, puisque les matériaux utilisés ne sont pas sélectionnés en fonction de leur impact environnemental, mais il entre dans une logique de récupération qui vise à valoriser ce qui est traité dans des sociétés qui produisent et jettent en quantités comme des déchets.

    Polluer n’est pas toujours imprimer

    L’imprimeur ligérien (implanté principalement en Loire-Atlantique) revendique quant à lui une démarche écologique, avec un engagement de toute son entreprise (gestion du papier, conformité à la norme ISO 14001, construction de locaux HQE, implication du personnelle dans l’effort de responsabilisation collective) pour une impression plus respectueuse de l’environnement. Thierry Forges a également démonté certaines idées reçues concernant l’impression des livres :

    -         L’empreinte carbone est très lourde lorsqu’on imprime, il serait donc préférable de privilégier l’utilisation du livre numérique pour moins polluer. Cette idée doit être largement mise en cause car il faut tenir compte du coût écologique des données numériques en générale, qui nécessitent d’immenses serveurs de stockage très énergivores, sans compter que, si le papier se recycle facilement, il en va bien autrement des composants des tablettes, liseuses et autres supports de lecture numérique.

    -         Le livre imprimé serait toujours plus rentable en impression offset qu’en impression numérique. Là encore, cette assertion est discutable, car nous voyons que le marché du livre est plus diversifié qu’il n’y paraît, et que désormais des tirages à quelques centaines ou même quelques milliers d’exemplaires (en noir et blanc), qui correspondent à des diffusions régionales, des marchés de niche ou encore une diffusion à usage privé, seront tout aussi rentables en impression numérique.

    Vers le livre écologique ?

    La production de livres est aujourd’hui considérable, non seulement en termes de nombre de titres parus chaque année, mais aussi en termes de chiffres de tirages. Il en résulte un gaspillage très important, avec environ 30% des ouvrages imprimés envoyés au pilon. Tant que l’économie du livre fonctionnera à cette cadence, il sera difficile d’associer livre et écologie, mais si une volonté globale des professionnels du livre émergeait en faveur de la réduction de la production, l’industrie du livre pourrait devenir plus respectueuse de l’environnement.

    Parallèlement au marché dominant, les initiatives locales et individuelles montrent que le livre est bien davantage qu’un produit de consommation industriel standardisé et que l’appropriation de l’objet-livre peut aussi devenir une façon de créer avec son environnement immédiat un ouvrage unique et personnel, à l’exemple des cartoneras d’Amérique du Sud qui font des émules un peu partout dans le monde.

     

    TABLE RONDE n°2
    L’environnement : un objet d’édition 

    Jean-Michel Humeau, responsable de la maison d’édition La Chambre d’Echos

    Laura Freducci, assistante d’édition dans la maison d’édition Les Petits Matins

    Yannick Le Boulicaut, photographe naturaliste, auteur de Miroir de Loire

    L’environnement, une pente naturelle pour les éditeurs

    La maison d’édition La Chambre d’Echos, dirigée encore aujourd’hui par deux de ses trois fondateurs, dont fait partie Jean-Michel Humeau, n’avait pas initialement pour ambition de bâtir un catalogue de littérature consacrée à l’environnement. La sensibilité écologique de ses romans, nouvelles et autres récits s’est imposée comme une évidence, après la publication d’un certain nombre d’ouvrages qui ont en commun le goût de la nature et sa représentation, avec ce qu’elle a de plus traditionnelle, de plus préservée. La vision écologique des auteurs se manifeste non seulement à travers le cadre champêtre ou rustique des récits, mais également par les valeurs qu’ils transmettent. C’est par exemple le cas avec le romancier Moïse Lecomte, qui fait dans son livre un éloge de la lenteur. Plusieurs auteurs ont eu dans leur vie professionnelle un contact direct avec la nature, c’est le cas de Jean-Pierre Rochat, qui est un ancien éleveur de chevaux en montagne. Certains ont décidé de revenir à la nature en quittant la ville pour s’installer dans un village retiré, dans sa région d’origine, à l’exemple de Xavier Gardette.

    Laura Freducci travaille dans la maison d’édition Les Petits Matins qui est née il y a presque dix ans, avec originellement un catalogue assez large qui donnait la part belle à la littérature de fiction. La ligne éditoriale initialement littéraire s’est peu à peu déplacée, sous l’influence des convictions politiques des fondateurs de la maison (Olivier SzulzyngeretMarie-Edith Alouf), fervents partisans de l’écologie politique. En se recentrant sur les essais militants, et tout spécialement dans le domaine de l’écologie politique, Les Petits Matins a pu se trouver une place, et donc une visibilité dans le paysage éditorial français actuel. Pour développer cette partie de son catalogue, deux collections en partenariat ont été fondées : la première avec Alternatives économiques, la seconde avec l’Institut Veblen. Ces partenariats présentent le double avantage d’impliquer des spécialistes des questions traitées au projet éditorial et de partager les investissements financiers de l’édition d’ouvrages pointus qui ne pourront pas être rapidement amortis.

    Le défi éditorial consiste à renouveler le questionnement sur les thèmes liés à l’environnement, alors que la production de livres sur ce sujet s’est beaucoup accrue ces dernières années (au point que de nombreuses librairies font place à un espace dévolu à l’environnement). Le risque de la saturation du sujet, et de la lassitude d’un public très sollicité est indéniablement à prendre en considération.

    Yannick Le Boulicaut est photographe naturaliste, passionné par son sujet et soucieux de transmettre sa connaissance de la faune naturelle, notamment aux plus jeunes. Il a publié plusieurs ouvrages, dont le dernier, paru à Noël 2014, intitulé Miroir de Loire, propose une sélection de haïkus en anglais accompagnés de leur traduction française et de photographies prises au bord de la Loire. Yannick Le Boulicaut explique la démarche qui est la sienne, en tant que photographe naturaliste. Au-delà du seul plaisir esthétique, la photographie permet de susciter une réflexion sur le rapport entre l’être humain et l’environnement. Pour devenir un bon photographe naturaliste, il faut se construire une connaissance approfondie des êtres vivants dont on veut capturer l’image, ce que beaucoup de gens désireux de prendre de belles photos naturalistes négligent, cherchant des résultats immédiats.

    La littérature de fiction peut-elle permettre une prise de conscience écologique des lecteurs ?

    Jean-Michel Humeau estime que nous sommes encore loin d’une telle prise de conscience. La nature que les écrivains parviennent à transmettre n’est pas contemporaine, mais une nature nostalgique, appartenant au passé.

    Laura Freducci Selon elle, la littérature contemporaine écologiste s’inscrit dans deux grands courants (hormis la SF, qui ouvre le champ de l’imaginaire à un monde d’après la catastrophe) : un courant conservatiste, qui développe une littérature contemplative, nostalgique, et un courant révolté, qui met l’accent sur la question de la justice écologique, et développe une sensibilité sociale et politique (en fiction comme dans les essais). L’injustice écologique qui est exprimée rejoint d’ailleurs les multiples formes de discrimination, puisque les victimes en sont souvent les mêmes.

    Le discours écologiste est-il dangereux ?

    Yannick Le Boulicaut observe que le discours écologique est souvent porté par des citadins coupés de la nature finalement, qui ont la fâcheuse tendance à donner des leçons, y compris aux familiers de la nature, sans tenir compte de la singularité du rapport à la nature qui se crée lorsqu’on y vit. Il y aurait là un véritable choc culturel, entre une volonté écologique très normative, qui prescrit des lois universelles sur le respect de la nature, et un bon sens in situ, qui n’aura pas la prétention de préserver l’environnement mais sera en fin de compte plus proche de la nature à protéger.

    Laura Freducci indique que le discours écologiste est parfois lui-même manipulé pour servir des intérêts économiques, notamment en jouant sur la sensibilité de l’opinion publique à certaines causes pour mieux camoufler des problèmes environnementaux plus compromettants (l’exemple du boycott organisé contre la pêche aux crevettes sauvages, alors que l’élevage des crevettes cause des ravages environnementaux plus considérables).

     

    Synthèse réalisée par Blandine Charrier