Découverte de l'"autobiographie verte"
Mardi 26 mai 2015 - Université du Luxembourg
Prof. Duccio Demetrio (“Libera Università dell’Autobiografia” di Anghiari), « Écrire ses propres green souvenirs : un laboratoire de l’éco-narration »
Dans le cadre de l’Atelier d’écriture autobiographique organisé par Claudio Cicotti (Centre culturel italien, Université du Luxembourg)
Campus Walferdange
Dans le cadre du séminaire « Atelier d’écriture autobiographique », qui porte sur l’autobiographie et ses déclinaisons, induites par l’interculturalité, par la migration, etc., Claudio Cicotti consacre une séance à la green autobiografia, c’est-à-dire à l’étude, au travers d’une expérience scripturale, des rapports entre écriture de la nature et écriture de soi. Comment, en tant que sujets écrivant, vivons-nous et nous pensons-nous dans l’environnement, conçu comme miroir de nous-mêmes ? Il ne s’agit ainsi pas seulement d’étudier les représentations de la nature dans les récits autobiographiques, mais de concevoir l’environnement et les souvenirs liés à la nature comme un laboratoire d’écriture qui produit des changements chez les personnes se livrant à cette activité créatrice.
Pour répondre à ces interrogations et pour animer l’atelier d’écriture – car les participants sont mis à contribution –, M. Cicotti a invité le Professeur Duccio Demetrio, philosophe de l’éducation et fondateur de la Libera Università dell’Autobiografia di Anghiari, créateur notamment de l’« Academia del silenzio », une école de pédagogie du silence (voir les liens ci-dessous). Alors que l’invité maîtrise parfaitement le français, la langue principale utilisée est l’italien, une traduction simultanée en français ayant été prévue.
En guise d’introduction, Duccio Demetrio s’intéresse d’abord à la fascination que constitue l’écriture de notre vie, ce double projet d’entrer en nous et de laisser une trace de notre existence, motivation caractéristique de la pensée occidentale. Tout particulièrement dans la traversée de moments douloureux, le désir d’écrire répond à la quête narcissique, mais aussi existentielle, d’un amour de soi. Du point de vue de l’histoire littéraire, les références de Duccio Demetrio sont les écrivains fondateurs des genres de l’écriture de l’intime, tels qu’Ovide, qui s’intéresse aux liens entre l’homme et la nature sauvage ; Virgile, qui n’écrit pas encore à la première personne, mais qui accorde une place importante à la nature, aux animaux et aux plantes dans Les Bucoliques ; ou encore Rousseau, dont les Confessions sont le premier roman autobiographique connu dans le monde entier.
Si l’enfance est le fil rouge de notre existence, celle-ci est aussi tissée de fils « noirs » douloureux, de fils « blancs » et « dorés » renvoyant aux émotions et à la joie, des fils « gris » de l’ennui, mais aussi de fils « verts ». Ces derniers sont « les moments incitatifs non liés aux relations humaines, mais au monde archaïque de la nature » et montrent que le lien millénaire entre l’homme et la nature est indissociable d’un sentiment de « religiosité » (qui ne correspond pas, insiste Duccio Demetrio, à la religion, à l’animisme ni au panthéisme).
Au cours d’un premier exercice d’écriture de soi, les participants – une dizaine d’étudiants et une dizaine d’auditeurs libres extérieurs à l’université – disposent d’un quart d’heure afin de rédiger, dans un petit carnet intitulé Mon cahier vert,leur premier souvenir marquant de la nature. Le conférencier remarque d’ailleurs que l’exercice paraît généralement plus aisé aux citadins qu’aux habitants d’un cadre rural. En effet, plumes et stylos s’activent rapidement, chaque participant trouvant un événement à raconter ou une impression à décrire, certains sous forme d’un texte rédigé, d’autres sous forme de notes. Alors que personne n’est forcé de lire sa création, plusieurs volontaires partagent à cœur joie leurs expériences naturelles et textuelles.
La nature revêt une importance considérable dans le projet d’écriture de soi, car elle rappelle que la recherche autobiographique ne concerne pas seulement ce qui est tapi au plus profond de nous-mêmes, mais également la relation aux autres êtres humains et la relation à la nature, à l’environnement et à la terre. Le deuxième exercice proposé est ainsi l’écriture d’un souvenir de la nature incluant une autre personne. D’une part, l’expérience de la nature n’est guère envisageable sans la médiation d’un autre être humain, parent, ami, guide, paysan, etc. D’autre part, les paysages étant toujours peuplés de figures humaines, le cadre naturel contextualise nos interactions avec nos semblables. Et Duccio Demetrio de raconter en premier son expérience personnelle d’un oncle pêcheur qui lui a enseigné le silence et la contemplation de l’environnement.
L’histoire personnelle se révèle alors intimement liée à l’histoire générale du monde.Dans cette ouverture importante se situe le premier enjeu « écologique » –terme que Duccio Demetrio n’emploie jamais au cours de sa conférence – de l’écriture autobiographique « verte » : la narration de soi ne se réduit pas à une introspection égocentrée, mais prend en considération la diversité des relations entre le sujet et son environnement humain et non-humain.
Le second enjeu écologique concerne le rapport au temps. L’écriture autobiographique de la nature vise à (re)découvrir, dans l’enfance, le passé et la mémoire, les souvenirs de la nature pour trouver un sens à la vie d’adulte. Qu’en est-il dès lors, pourrait-on demander, de l’enfant écrivant ou du lecteur de textes autobiographiques ? Il importe néanmoins à Duccio Demetrio de ne pas concevoir l’écriture comme une finalité, mais comme un processus actif destiné à faire doublement émerger un sens à notre vie et le sens du récit. L’écriture autobiographique se révèle alors un apprentissage qui nous permet de transformer notre existence et notre rapport au monde. Elle n’est pas la contemplation nostalgique d’un passé, mais une activité résolument tournée vers le présent et vers le futur.
Cette démarche consciente du présent et orientée vers l’avenir, ainsi que le potentiel réflexif de l’écriture de la nature, invitent à proposer un modèle écologique de l’écriture autobiographique qui se distancie des traditionnelles conceptions romantiques d’une nature originelle et universelle, lieu d’harmonie et temporalité privilégiée de l’enfance. Eu égard aux problématiques environnementales actuelles, qui montrent que la nature n’est ni infinie ni dissociable de l’être humain, l’éco-narration s’avère alors une pratique poétique originale afin d’articuler les rapports entre littérature et écologie.
Témoignage rédigé par Sébastian Thiltges (ecolije @ gmail.com).
Contact
Claudio Cicotti, Université du Luxembourg : claudio.cicotti @ uni.lu
Bibliographie
Duccio Demetrio, Green autobiography. La natura è un racconto interiore, Anghiari, BookSalad, 2015, 352 p. (italien, traduction allemande prévue).
Liens utiles
Centre culturel italien de Luxembourg : http://www.iiclussemburgo.esteri.it
Libera Università dell’Autobiografia di Anghiari : http://www.lua.it
Accademia del silenzio : http://www.lua.it/accademiasilenzio/