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    Svetlana Alexievitch - La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse

    Svetlana Alexievitch - La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse

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    La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse

    Références de l'ouvrage

    ALEXIEVITCH, Svetlana, La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain, J’ai lu, Paris, [1997] 1999, 250 pages.

    L’auteur

    Née en 1948 de parents enseignants, Svetlana Alexievitch a exercé son métier d’écrivain et de journaliste en Union soviétique puis en Biélorussie à partir de l’indépendance. Dissidente soutenue par le PEN-Club, elle documente les conflits armés et leur retentissement social vécu dans le temps long, tant en Afghanistan (Cercueils de zinc, 1990) qu’en remontant à la seconde Guerre Mondiale (La guerre n’a pas un visage de femme, 1985 ; Derniers témoins, 2005). Dans La fin de l’homme rouge ou le Temps du désenchantement (2013) qui relate la chute de l’URSS, sa méthode est encore celle d’un vaste entretien avec une foule de témoins dont elle recueille en détail les souvenirs existentiels. Le prix Nobel 2015 la distingue pour son « œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage de notre époque ». Traduite en plus de vingt langues, la Supplication Tchernobyl (1997) est toujours interdite en Biélorussie.

    Résumé

    Après un collage de coupures de presse informatives, faits et chiffres cèdent la place aux voix de celles et ceux qui ont vécu Tchernobyl. L’auteur s’interviewe elle-même, « sa vie faisant partie de l’événement », dans un pays qui n’est « plus une terre, mais un laboratoire » où l’on expérimente en avance que « l’ancien monde n’existe plus », même si l’homme « pris de court […] n’a pas envie d’y penser » (p. 31). En écrivant l’« histoire manquée », post-apocalyptique, des « sensations et sentiments des individus qui ont touché à l’inconnu », il s’agit de faire face à l’hybris technicienne d’un monde absurde. Plutôt qu’un récit chronologique, c’est une série de « monologues » restituant la parole brute de témoins variés. Les trois grandes parties font chacune suivre ces monologues par un chœur : soldats, conducteurs, liquidateurs et dosimétristes achèvent de dire « La terre des morts » (p. 35-88), le chœur populaire des médecins, résidents évacués et femmes de liquidateurs clôt « La couronne de la création » (p. 89-152) ; c’est sur celui des enfants, enfin, que se ferme « Admiration de la tristesse » (p. 153-236).

    Toutes ces voix décrivent et répètent la mort spectaculaire des corps troués, déformés, gonflés ou rétrécis, l’évacuation chaotique dans une « forêt rousse » et sous la « pluie noire » (tout change de couleur), l’interdiction de raconter ce qu’ils ont vu, le manque d’équipement et de préparation, les femmes lavant inlassablement le linge irradié, les boîtes de conserve acheminées dans les magasins, les lieux précipitamment abandonnés aux pillards, les animaux esseulés devenant agressifs, les livres et autres objets soudain inutilisables et effrayants, la zone, sa délimitation arbitraire et ses trafics (vodka contre passage clandestin), l’opprobre social et la honte d’être sale là où l’on s’est réfugié, le retour résigné à la récolte de tout ce qui continue à pousser, les motivations banales et mêlées des comportements contradictoires observés, dont pas un n’échappe au doute, l’inexistence de l’héroïsme humain pourtant affiché, les mensonges, rumeurs et superstitions, l’humour enfin, comme ultime recours. Pour ceux qui en ont, les souvenirs de guerre sont le seul comparant bien qu’imparfait.

    La présence de la question environnementale dans le texte :

    Les thèmes écologiques sont-ils centraux ou marginaux dans le texte ?

    La catastrophe révèle tous les liens invisibles qui tissaient un monde qui se défait, des familles et du village à ceux des chasseurs et cultivateurs avec la terre et la forêt. Alors qu’on « enterre la terre », « la frontière entre réel et irréel s’évanouit » (p. 133) et tout sens de l’histoire disparaît dans ce « monde fantastique, mélange de fin du monde et de l’âge de pierre », dans l’incessante confrontation entre un « avant » et un « après » toujours plus déraciné, individualiste et insensible. Concrètement, les milieux irradiés ont aussi été volontairement détruits (« désactivés »), vidés par une dérisoire table rase, non pas de leurs radiations mais de tout survivant.

    Les événements liés à l’écologie sont-ils réels ou imaginaires ?

    Réels bien qu’invisibilisés et incroyables. L’enjeu même du livre consiste à rendre audible et extrêmement concrète, sensible, une histoire que personne ne veut entendre. Le pacte en est donc résolument documentaire, le style celui d’une transcription à même la parole des témoins (avec interruptions, silences et parasitages entre parenthèses). La « vérité sans artifice » implique de ne pas gommer les nombreuses répétitions et de ne négliger aucun des innombrables détails dont se compose le réel mutant. C’est un monde inouï qu’il faut décrire, une réalité inexprimable. Si l’on n’écrit pas sur Tchernobyl, selon Alexievitch, c’est non seulement parce qu’on ne le vaincra jamais, mais parce qu’on ne l’a toujours pas compris. Le voyage descriptif est halluciné et parfois surréaliste mais toujours non-fictionnel. Tout y frappe l’imagination : la disparition des odeurs, les improbables changements de couleur, la sécheresse poudreuse de mai où l’on respire littéralement la terre tout en doublant d’irréelles récoltes, les étranges tâches brillantes qui se déposent partout et ne s’effacent jamais…

    Le texte fait-il apparaître des personnages assimilables à des figures typiques en lien avec l’écologie ?

    Ce qu’est un être humain se transforme sur tous les plans dans l’ère de l’atome et la notion de personnage vole ici en éclats : entre « cobayes », « matériel humain » et « robots biologiques », les anonymes de Tchernobyl expliquent que « le problème de Tchernobyl est d’abord celui de la connaissance de soi-même » (p. 134). Parmi ces voix vibrantes de lyrisme, celle de l’auteur s’efface absolument, mais la prophétie polyphonique n’en est que plus forte : Alexievitch explique en l’introduisant avoir eu « plus d’une fois l’impression de noter le futur » (p. 33). Il semble ne plus y avoir de personnage, tout humain devenant la trace d’un espace-temps mis en miettes.

    Citations

    « Chaque chose reçoit son nom lorsqu’elle est nommée pour la première fois. Il s’est produit un événement pour lequel nous n’avons ni système de représentation, ni analogies, ni expérience. Un événement auquel ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles, ni même notre vocabulaire. Tous nos instruments intérieurs sont accordés pour voir, entendre ou toucher. Rien de cela n’est possible. Pour comprendre, l’homme doit dépasser ses propres limites. Une nouvelle histoire des sens vient de commencer. » (interview de l’auteur par elle-même, p. 31-32)

    « Je vais vous raconter une histoire drôle. Un prisonnier évadé se cache dans la zone de trente kilomètres autour de Tchernobyl. On finit par l’attraper. On le fait passer au dosimètre. Il « brille » à un point tel qu’il est impossible de le mettre en prison ou à l’hôpital. Mais on ne peut pas le laisser en liberté non plus. Vous ne riez pas ? (Il rit.) » (Arkadi Filine, liquidateur, p. 99)

    « Je croyais, au début, que les ‘sépulcres’ étaient des constructions compliquées, conçues par des ingénieurs, mais il s’agissait de simples fosses. Nous soulevions la terre et l’enroulions comme un tapis… L’herbe verte avec les fleurs, les racines, les scarabées, les araignées, les vers de terre… Un travail de fous. On ne peut quand même pas éplucher toute la terre, ôter tout ce qui est vivant… Si nous ne nous étions pas soûlés à mort toutes les nuits, je doute que nous eussions pu supporter cela. L’équilibre psychique était rompu. Des centaines de kilomètres de terre arrachée, dénudée, stérile. Les maisons, les remises, les arbres, les routes, les jardins d’enfants, les puits restaient comme nus… Le matin, il fallait se raser, mais chacun avait peur de se regarder dans un miroir, de voir son propre reflet. » (Ivan Nikolaïevitch Jmykhov, ingénieur chimiste, p. 159)

    Mots-clefs

    nucléaire / catastrophe / Tchernobyl / responsabilité humaine / guerre / maladie / pollution / forêt / nourriture / agriculture / migrations

     

     

    Fiche réalisée par Bertrand GUEST                                   

    Catégorie générique

    Document