Aller au contenuAller au menuAller à la rechercheAller à la page d'actualités

EcoLitt, le projet de recherche sur l'écologie en littérature


Navigation principale

    Recherche

    Fil d'ariane

    La recherche en littérature environnementaleRessources pour tous

    Patrice Nganang - Temps de chien. Chronique animale

    Patrice Nganang - Temps de chien. Chronique animale

    • Partager la page sur les réseaux sociaux
    • Envoyer cette page par mail

      Envoyer par mail


      Séparés par des virgules
    • Imprimer cette page

    Temps de chien. Chronique animale

    Références de l'ouvrage

    NGANANG, Patrice, Temps de chien. Chronique animale [2001], Paris, Éditions du Rocher, Collection « Motifs », n°172,  2007, 366 p. [Prix Marguerite Yourcenar, 2001 ; Grand Prix de l’Afrique Noire, 2003]

    L’auteur

    Patrice Nganang est né en 1970 à Yaoundé (Cameroun). Opposant farouche au régime dictatorial de Paul Biya, il appartient dans sa jeunesse au « Parlement », une association estudiantine regroupant les différentes tendances de l’opposition. Il écrira ensuite des pamphlets révolutionnaires, réunis dans le recueil Contre Biya, qui fait grand bruit lors de sa parution en 2011. Écrivain reconnu internationalement, Patrice Nganang n’en demeure pas moins un activiste convaincu. Docteur en littérature comparée, il est aujourd’hui professeur de théorie littéraire aux États-Unis. Parmi ses nombreux écrits, on compte notamment le saisissant Mont Plaisant (2011) ou encore le stimulant essai Manifeste d’une Nouvelle Littérature Africaine (2007).

    Résumé

    Ce roman, narré depuis le point de vue de Mboudjak, un chien philosophe et chercheur en sciences sociales qui observe le monde des humains par le bas, est divisé en deux livres (« Livre Premier : Aboiements » ; « Livre Deuxième : Rue Mouvementée »). Mboudjak est le chien galeux de Massa Yo, un ancien fonctionnaire mis à pied reconverti en tenancier de bar. Son établissement, Le-Client-est-Roi, est situé au beau milieu de Madagascar, un « sous-quartier » de Yaoundé, dont il condense tout à la fois la misère, l’exubérance et l’agitation. Une foule locale, haute en couleurs, y converge chaque jour : à travers le point de vue décentré de Mboudjak, « chien de bar », on a accès à une galerie de personnages bigarrés : Soumi, le méchant fils du patron, Docta, l’ingénieur lubrique, Étienne, dangereux émissaire du pouvoir, le vieux Panthère, faiseur d’histoires au verbe haut perché, ou encore le Corbeau, écrivain-philosophe emprisonné par le régime pour avoir pris trop librement la parole – et ce sans qu’aucun des clients du bar n’ait tenté de le défendre. Au gré des rencontres et menues péripéties du quotidien du sous-quartier, Mboudjak livre des observations en forme de méditations métaphysiques : la lâcheté et la cruauté des hommes, la condition miséreuse des habitants ou encore la violence politique qui mine le quotidien sont des thématiques récurrentes. Conte philosophique et roman social, le livre est aussi un portrait en creux de la dictature de Paul Biya et du sort que le régime réserve aux « opposants », dont le Corbeau est l’emblème. Ce dernier finit d’ailleurs par lancer sur le bar une malédiction tenace, en abreuvant l’assemblée de faux billets : la foule décillée, qui s’était d’abord entredéchirée sans honte pour avoir sa part du butin, ressent alors l’étendue de la lâcheté et de la honte humaines, et c’est le rire obsédant du corbeau qui clôt le premier livre. Dans le second, Mboudjak erre longtemps hors du bar, explorant l’indigence infinie des sous-quartiers et rencontrant une foule de personnages ubuesques, dans lesquels il ne fait finalement que retrouver les travers caractéristiques des habitués du Client-est-roi, « masqués uniquement du visage de la différence » (p. 235). Massa Yo sera finalement ruiné, se faisant subtiliser par une prostituée le million de francs caché dans son bar. Malgré l’omniprésence de la peur qui immobilise les habitants, le roman se clôt sur un début de révolte populaire contre la violence exercée par le régime.

    La présence de la question environnementale dans le texte :

    Les thèmes écologiques sont-ils centraux ou marginaux dans le texte ?

    Les deux. De prime abord, on pourrait les considérer comme plutôt marginaux, dans la mesure où l’écologie n’est pas thématisée en tant que telle. Pourtant, l’adoption du point de vue du chien favorise une réflexion philosophique sur les notions de nature et de culture, sur les limites de l’humanité, sur la part d’animalité qui existe chez l’être humain, généralement corrélée à la thématique de la faim (« un homme qui a faim [...] est un animal » (p. 246), mais aussi sur la question du langage animal, l’anthropomorphisme et l’anthropocentrisme. Selon l’auteur, « le point de vue du chien est l’extériorité totale, parfaite, [...] car autant les hommes ne veulent jamais être traités de chiens, autant le chien de mon roman, Mboudjak, estime insultant d’être pris pour un homme. Cette frontière lui permet de bien scruter les hommes, de les analyser, de les décortiquer, d’aller sans peur de se salir à leur recherche ».

    Les événements liés à l’écologie sont-ils réels ou imaginaires ?

    Si l’on souscrit à une définition sociale de l’écologie, on peut dire que les thématiques de la misère, de la faim et des inégalités, centrales dans le texte, renvoient à un contexte bien réel. Le bar de Massa Yo, véritable lieu anthropologique, est une forme de laboratoire dans lequel sont formulées de mille manières les relations que l’être humain entretient avec le monde qu’il habite, plus particulièrement celles que les résidents des sous-quartiers entretiennent avec leur environnement de pauvreté et de violence.

    Le texte et/ou les images font-ils apparaître des personnages assimilables à des figures typiques en lien avec l’écologie ?

    Oui : le chien qui depuis sa « canitude » enquête sur la condition humaine, les autres animaux qu’il rencontre et avec qui il entre en dialogue – chiens, poules, chats –, ou encore « l’esprit des poubelles », sont des personnages pouvant être considérés comme typiques. « L’esprit des poubelles », que Mboudjak rencontre au début du second livre et avec lequel il chemine un moment, est un ramasseur et revendeur de bouteilles de verre qui déambule sur les pistes labyrinthiques des sous-quartiers : d’une extrême pauvreté et considéré comme fou par les autres hommes, il est pourtant le seul homme avec lequel Mboudjak parvient à communiquer sans malentendus.

    Citations

    « Je regarde, moi, et je prends note.

    J’observe le monde par le bas. Ainsi, je saisis les hommes au moment même de leur séparation de la boue. De même, je saisis les moments d’anéantissement de leur humanité. Je dois pourtant avouer que cette position est parfois inconfortable. En effet, la plupart des clients de mon maître puent affreusement des pieds quand ils se déchaussent. » (p. 54)

    « Pour mieux comprendre les hommes, je me suis fait le devoir de ne plus rêver leurs vies. Oui, je me suis fait le devoir de coaguler le monde autour de moi, de ne pas tomber dans l’ivresse et la danse incontrôlée des choses, de passer à côté des métamorphoses de leur univers, mais surtout de ne pas tomber dans le labyrinthe sulfureux de leurs hallucinations : je me suis fait le devoir de toujours maintenir mes quatre pattes bien posées au sol. Je suis un chien de bar, soit, mais je dois absolument être réaliste. » (p. 130)

    « Ô hommes ! Affamés, je le sais déjà, vous êtes pires que les rats. Vous ne vous jetez pas seulement l’un sur l’autre ; non, vous êtes prêts à vous manger l’un l’autre. Vous êtes prêts à manger tout ce qui dort à côté de vous. À ces moments de votre misère, il me faut surtout me perdre dans l’ombre des choses pour protéger ma vie devant votre furie. Même lorgnant seulement les chuchotements d’inconnus, je me rendais compte que certaines des vérités que la maison de mon maître jadis, que la cour de son bar m’avaient apprises sur les hommes, certaines des choses que ma vie scélérate m’avait fait découvrir, se répétaient incessamment, masquées uniquement du visage de la différence. Par exemple : je verrai maintes fois des hommes se battre pour une pièce de vingt-cinq francs et se serrer le cou pour s’étrangler définitivement. Je les verrai se déchirer le visage pour une dette d’une cuisse de poulet. Je me rendrai compte toujours que le ventre vide est le maître de l’homme. Je me rendrai compte à quel point la misère mange l’humanité des hommes. » (p. 235)

    Mots-clefs

    animaux / ville / responsabilité humaine / langage animal / anthropocentrisme

     

    Fiche réalisée par Anne-Laure BONVALOT                                       

     

    Catégorie générique

    Roman