ALPHA …directions
Références de l'ouvrage
HARDER, Jens, ALPHA …directions, traduit de l’allemand par Stéphanie Lux, Arles, Actes Sud – L’an 2, 2009 [2008 pour l’édition originale], 341 pages + 15 pages d’annexes.
L’auteur
Jens Harder, né 1970 à Weißwasser en RDA, a étudié le graphisme de 1996 à 2003 à l’école d’art de Berlin-Weißensee. Auteur et illustrateur de plusieurs bandes dessinées, il a obtenu notamment le prixMax et Moritz de la meilleure BD de langue allemande en 2004 pour Léviathan, ou encore le prix de l’Audace du festival de la bande dessinée d’Angoulême en 2010. Alpha est le premier volet d’une trilogie monumentale qui retrace l’histoire de la vie depuis le Big-bang jusqu’à l’humanité. Dans la postface, Jens Harder explique son projet ambitieux, comme une tentative de « rassembler pour la première fois toutes les représentations visuelles dont nous disposons, à partir d’un point d’origine appelé big bang, pour imaginer la naissance de l’univers que nous connaissons ». Il le définit comme « une sorte de Bible en images (…) qui s’adresse à des gens qui savent lire, sans aucune contrainte confessionnelle, sur une base scientifique » (p. 343). Le choix formel de la bande dessinée s’impose à lui pour un tel ouvrage. « Il me tenait à cœur de réfléchir sur le temps, (…) dont on ne saurait mieux se rapprocher qu’avec un médium basé sur une succession d’images comme la bande dessinée, même si représenter plus de 14 milliards d’années en à peine 350 pages relève de la plaisanterie (…) » (p. 344).
Résumé
Alpha est la première étape d’un grand récit cosmologique, totalement étrangère à l’être humain, puisqu’elle débute au point 0, « la singularité », l’« état originel infiniment chaud et dense de la taille d’un ballon de football » (p. 74) et s’achève au début de l’Holocène, juste avant l’avènement de l’humanité. Cette traversée des temps est découpée selon les subdivisions stratigraphiques de l’échelle des temps géologiques, chaque ère constituant un chapitre caractérisé par une couleur unique associée au noir et blanc. La précision graphique qui relève du dessin documentaire et la sobriété du chromatisme confèrent à l’ouvrage l’autorité d’un ouvrage de référence scientifique. L’abondance de dessins, parmi lesquels de très nombreux « prélèvements, des citations de visuels existants empruntés, sans hiérarchie, aux sources les plus diverses » (T. Groensteen, Un art en expansion, Les Impressions nouvelles, 2015, p. 254) contrebalance un texte continu mais peu prolixe : la voix narrative déroulant le fil de l’histoire. Il n’y a pas de personnage dans cette histoire panoramique, mais le point de vue du récitant est celui d’un humain contemporain du lecteur. Des images dont les sources sont les plus diverses cohabitent et se télescopent, cependant la compilation qui en résulte n’est pas disparate car elle forme un ensemble rendu homogène par l’unité graphique de la bande dessinée. Comme le souligne T. Groensteen, « à la logique habituelle du découpage, qui consiste à fragmenter une continuité narrative, une intrigue, en images discrètes correspondant aux moments clé de l’action, Harder substitue une autre logique, celle du montage (ou collage) » (op. cit. p. 255). L’auteur propose ainsi pour moteur de la construction narrative un imagier composite, une façon originale de répondre à la délicate question : comment représenter l’histoire du monde depuis l’origine ?
La présence de la question environnementale dans le texte :
Les thèmes écologiques sont-ils centraux ou marginaux dans le texte ?
Le sujet de la bande dessinée est l’évolution de la Terre et le développement des espèces vivantes. Dès lors, il n’est question que d’écologie, même si les milieux envisagés datent de bien avant l’apparition de cette science. Les relations entre les espèces sont perçues à travers le temps (en diachronie, et non en synchronie) pour donner à lire une histoire de l’évolution
Les événements liés à l’écologie sont-ils réels ou imaginaires ?
Ils sont réels, fondés sur les découvertes scientifiques les plus récentes. Néanmoins, beaucoup d’incertitudes ou d’erreurs demeurent, ce qui fait dire à l’auteur dans sa postface que son histoire devra changer en fonction des nouvelles découvertes qui mettront à jour les connaissances sur ce sujet. Alors, « s’il devait un jour y avoir une nouvelle édition de cette première partie de la trilogie, [il] ajouterai[t] ou modifierai[t] certainement l’une ou l’autre planche » (p. 344).
Le texte fait-il apparaître des personnages assimilables à des figures typiques en lien avec l’écologie ?
Non. Outre le fait que tout se déroule avant l’apparition de l’homme, l’absence de personnage humain est le reflet d’une perspective qui envisage le monde comme un tout.
Citations
p. 313 – planche de la section Crétacé
Bandeau de titre courant de couleur violette avec l’indication de l’ère géologique « cénozoïque ». Planche en noir et blanc et violet, de la même teinte que le bandeau du titre courant. Composition : quatre bandes composées de chacune deux cases. Une phrase du récitatif sous la première et la troisième bande.
case 1 : très gros plan sur un petit mammifère aux grandes oreilles et aux petits écarquillés (ressemblant à l’otocyon ou renard à oreilles de chauve-souris).
case 2 : gros plan sur un animal proche de l’hippopotame, pourvu de cornes frontales (évoquant un peu le tricératops). Le spécimen présenté en gros plan se tient sur la rive d’un cours d’eau. En arrière-plan, les pattes dans l’eau, un autre individu en compagnie d’un plus petit, s’abreuve.
récitatif : « Libérés du joug des sauriens jadis omniprésents, les mammifères prospèrent eux aussi, et grandissent rapidement. »
case 3 : reproduction en dessin d’une statuette d’art premier en bois représentant de façon stylisée une sorte d’hippopotame.
case 4 : plan moyen sur deux animaux s’apparentant là encore à l’hippopotame, mais dont la gueule ne comporte ni corne ni défense, ce qui rapproche davantage la physionomie de ces animaux de l’hippopotame que nous connaissons aujourd’hui.
case 5 : plan moyen sur deux paires d’animaux qui s’observent. À gauche, un animal sans équivalent aujourd’hui, les pattes antérieures très longues s’achèvent par des mains griffues tandis que les pattes postérieures sont particulièrement musclées puisqu’elles supportent tout le poids du corps. La tête de l’animal rappelle celle d’un cheval au museau court. Cet animal protège le petit qui se tient sous son ventre. Les deux animaux regardent à droite, où se trouvent au premier plan deux individus adultes proches des hyènes. Au second plan les ramures d’un arbuste sec suggèrent un paysage désertique (proche du bush australien).
case 6 : reproduction en dessin de la louve capitoline en bronze allaitant les fondateurs de Rome, les jumeaux Romulus et Remus.
récitatif : « Les premiers vivipares terrestres sont toutefois obligés d’allaiter et de soigner leurs petits au début de leur vie. »
case 7 : gros plan sur trois gorilles blancs adultes. Le premier regarde le second, qui est une femelle allaitant son petit suspendu à une de ses mamelles, tandis que le troisième se tient derrière la femelle et lui cherche des poux. À l’arrière-plan on aperçoit un couple d’éléphant.
case 8 : reproduction en dessin du tableau de la Renaissance (école de Fontainebleau) de Gabrielle d’Estrées, favorite d’Henri IV, dont la sœur pince le téton, geste symbolisant la future maternité de la favorite royale. À l’arrière-plan se trouve une femme est occupée à coudre auprès d’une cheminée.
Mots-clefs
univers / évolution / espèces / géologie / histoire / animaux
Fiche réalisée par Blandine CHARRIER