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    Conférence axe "Cultures du végétal" (Quasav-Confluences)

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    Denis Diagre

    "Les mondes horticoles et botaniques belges (XIXe siècle), creusets d'une conscience écologique précoce?" - 27 janvier 2015

    Conférence organisée par la SFR Quasav et la SFR  Confluences- axe Cultures du végétal à Agrocampus Ouest (Angers)

    Denis Diagre, historien au Jardin botanique Meise - Bruxelles

    Après quelques mots sur les tendances historiographiques les plus importantes qui traversent l’étude du rapport à la « nature » ou à l’environnement, et une esquisse sommaire des mouvements de pensée qui ont rythmé le rapport de l’homme à l’environnement, l’orateur propose d’aborder quelques manifestations précoces d’une certaine prise de conscience écologique, en Belgique, en utilisant les sources produites par le monde horticole belge, d’une part, et par le monde botanique, de l’autre. Ces sources sont : l’abondante littérature horticole belge de la seconde moitié du XIXe siècle, les manuels de botanique, le Bulletin de la Société royale de Botanique de Belgique et, surtout, un corpus de plusieurs de lettres de botanistes, conservées au Jardin botanique Meise, près de Bruxelles. Ces correspondances furent adressées à François Crépin (1830-1903), cofondateur et administrateur de la société susmentionnée, ténor de la floristique belge et directeur du Jardin botanique de l’Etat belge. Son passage, en tant que professeur, à l’Ecole d’Horticulture de l’Etat de Gendbrugge (Gand) en fait également un trait d’union entre les deux mondes que l’exposé entend étudier.

    C’est dans le monde horticole que vont résonner, peu avant 1850, les mots dénonciateurs de Louis Van Houtte (1810- 1876), ancien naturaliste-collecteur au Brésil, alors grand importateur et vendeur de plantes tropicales et directeur de l’école d’horticulture mentionnée ci-dessus. Il y accuse les colons de détruire la forêt tropicale pour y établir des cultures et de réduire les merveilles de la nature en cendres (1847). Quelques années plus tard, dans la même revue horticole, c’est Charles Naudin, le Français, qui brossera le tableau catastrophique d’une nature exploitée sans retenue au nom d’un « progrès », à propos duquel il formule quelques doutes (1856).

    L’orateur attire l’attention sur le traumatisme que constitue la confrontation avec la « nature » violentée par une humanité immorale. La quasi-nécessité de cette confrontation pour l’émergence d’une émotion « écologique » se donne à voir également au sein du monde botanique belge, abordé dans la suite de l’exposé.

    C’est dans les sources laissées par le milieu botanique belge que vont percer de grands thèmes qui traverseront les âges jusqu’à nos jours, des manières de solutions aux problèmes alors constatés, des sentiments nouveaux, des interrogations, des prises de conscience.

    Ainsi y verra-t-on le botaniste prendre conscience de sa propre nocivité pour la flore. Poussé par l’exigence méthodologique à réaliser un herbier, poussé à échanger des feuilles d’herbier pour acquérir celles qu’il ne possède pas encore, enclin à se procurer les espèces les plus rares à cet effet et par goût de l’exception, il en arrive, dès les années 1860, sinon avant, à déplorer les effets de la collecte déraisonnable. Il est vrai, l’orateur y insiste, que les manuels de botanique attirent presque invariablement l’attention sur le devoir de confectionner un herbier pour devenir botaniste, sur l’obligation de collecter jusqu’aux racines des plantes. Pour ne rien arranger, des motivations commerciales, vraisemblablement, incitent les auteurs de ces ouvrages à dévoiler les stations des plantes les plus rares…

    Le botaniste devient donc le pire ami de la flore nationale, conçue comme un trésor national, un patrimoine national.

    C’est alors que s’impose avec une force renouvelée une catégorisation des botanistes : on décrira les vrais botanistes et les mauvais botanistes. Les premiers, reconnus par les élites de la Société royale de Botanique, auront le privilège de se voir communiquer la localisation des stations les plus intéressantes. Quant aux autres, collecteurs sans vergogne ou scientifiquement peu fiables… Par ailleurs, la Société prendra également des mesures pour limiter la collecte des plantes rares lors de ses herborisations annuelles. Il s’agit, cette fois, d’une mesure presque officielle, mais non coulée sous forme de loi. Une 3e mesure, fort pittoresque, mais qui dit tout du climat d’urgence qui prévalait parfois, consista à supprimer les inflorescences de certaines espèces afin d’en rendre la collecte vaine… Finalement, et malgré l’opposition des botanistes qui étudiaient la répartition spontanée des espèces indigènes, certains se résolurent à créer de nouvelles stations de plantes rares par semis ou bouturage.

    Outre le botaniste, la flore nationale devra compter avec une poignée d’autres ennemis, bien identifiés par les botanistes qui courent le terrain. Parmi eux, on trouvera l’industrie qui bouleverse le paysage et détruit les stations, le chemin de fer qui a le même effet direct et celui, indirect, d’amener « la vulgarité bourgeoise » (sic, Crépin, 1869) là où se développait la « nature ». Pire encore, il y avait l’agriculture, dont les progrès étaient rendus indispensables à une démographie en hausse. Les citations se succèdent qui démontrent que toutes les régions de la Belgique sont touchées par ces problèmes… mais aussi que le botaniste, bourgeois disposant des moyens financiers et de loisirs, rencontre quelques difficultés, aussi, à critiquer des phénomènes consubstantiels au progrès qu’il choie, par ailleurs…

    Il est, finalement, une ultime question que l’on voit poindre dans cette masse documentaire : la question de l’indigénat des espèces présentes en Belgique. Des débats d’ordre philosophique ou scientifique se dérouleront, à ce sujet. Fallait-il intégrer ces plantes dans la flore nationale, ou les rejeter ? Quand une plante doit-elle être considérée comme indigène ? Peut-on considérer que certaines méritent la « naturalisation » (sic) ? Une réflexion est donc lancée, dès les années 1860 (sinon avant), qui n’est pas étrangère à notre époque. Un fait doit cependant être souligné : on ne mentionne qu’exceptionnellement le cas de plantes introduites néfastes. Et encore, il ne s’agit pour l’heure que d’effets délétères sur les activités humaines et non sur la flore locale.

    Pour conclure, l’orateur rappelle qu’on se tromperait à considérer que des discours « écologiques », ou « environnementalistes » aux sonorités similaires seraient enracinés sur un fond philosophique unique. Sur ce champ se rencontrent les défenseurs d’un moyen âge idéalisé, les romantiques dressés contre le tout à la Raison des Lumières, des artistes, des modernes bourgeois mus par la foi en un progrès continu, par le désir de maîtriser les éléments et leur destinée, habités par l’amour de la patrie, jusque dans ses paysages et ses richesses naturelles… Ce sont ces bourgeois dont on a surtout décrit les tourments. Tourments nés de la contradiction entre leur vision du progrès et les conséquences de ce dernier sur une « nature » que leurs moyens matériels, intellectuels et les loisirs qui en découlent, leur permettent de constater dans toute sa nudité. Si leur déchirement est visible, lisible, de remise en cause du système, il n’en est encore que bien peu question. On préférera ostraciser les botanistes déviants, expression de la vulgarisation de l’étude de la botanique, que s’interposer ou questionner un monde qui a placé le bourgeois botaniste là où il est.

    Durant les quelques décennies traversées par l’orateur, on aura, finalement, vu un chapelet de questionnements et de stratégies s’imposer et se mettre en place, qui, toutes, sont familières des naturalistes et de ceux qui pensent aujourd’hui l’environnement. L’auteur se plaît à rappeler un phénomène qui lui semble d’une grande importance dans l’émergence de la « conscience écologique » : le traumatisme de la confrontation avec la destruction du milieu… souvent idéalisé, voire sacralisé, par certains. Il évoque la description, par Louis Van Houtte, du viol de la « nature vierge » par d’âpres colons ignorants, et attire, à ce sujet, l’attention sur l’importance de la virginité dans l’Europe du Livre. Il suggère que ses travaux relèvent d’une forme de pointillisme un peu naïf, sans doute, et que ses futures recherches sur l’horticulture et la botanique belges du XIXe siècle pourraient, évidemment, leur faire un mauvais sort.

    [Résumé de Denis Diagre]