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    Jean Giono - Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix

    Jean Giono - Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix

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    Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix

    Références de l'ouvrage

    GIONO, Jean, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Héros-Limite, Paris, [1938] 2013, 120 pages.

    L’auteur

    Natif de Manosque, Jean Giono (1895-1970) est plus connu pour ses romans (Le Hussard sur le toit, Un roi sans divertissement) que pour ses essais. La Lettre aux paysans, écrite à la veille de la deuxième Guerre Mondiale, a même été occultée, bien qu’elle ait intéressé Camus. Comme dans les romans du monde paysan provençal (et notamment la trilogie de Pan, Colline, Un de Baumugnes, Regain, 1929-1930), n’y voir qu’un néoprimitivisme technophobe, irrationnel et suspect serait ignorer la rigueur de la critique pacifiste et libertaire du capital, de la technique et de la guerre.

    Résumé

    S’engageant pour la paix, l’écrivain dénonce les causes profondes de la guerre, qui sont notamment économiques. La monnaie n’étant pas une simple convention d’échange mais un moyen de gouvernement, c’est en elle que s’enracinent la démesure et le cynisme de la spéculation sur le blé, qui introduit l’argent entre le paysan, les choses qu’il travaille (la terre et ses fruits) ainsi que les mots qui dessinent son monde. D’où un éloge de la pauvreté et une redéfinition des vraies richesses, liées à la liberté qui suppose le renoncement à l’argent. Les mécanismes de l’endettement et de l’expropriation culturelle, non seulement des paysans mais de tous les hommes (dont ils sont comme les représentants universels), sont associés aux « temps présents » du monde moderne : spécialisation des travaux et des jours, technicité, remplacement de la joie de vivre par la vulgarité du jeu et du gain, démembrement de tout ce qui rendait les hommes autonomes. Giono fait la critique du soi-disant progrès, en montrant pour qui et en quoi il constitue une régression. Il exalte l’indépendance menacée du paysan, qui disparaît au profit d’un ouvrier spécialisé dépendant et donc esclave de l’argent, plus aisément convertible en chair à canon. Son pacifisme, qui est une mémoire vive de 14-18, engage Giono, face à cette mécanique de la guerre moderne, à proposer une révolution individuelle qui semble commencer par une désertion. Saper la puissance de l’oppression suppose de refuser d’y participer : « l’intelligence est de se retirer du mal ». Où mener cette résistance plus stratégiquement qu’à la campagne, source nourricière des villes qui l’ont toujours soumise et requise dans leurs guerres pourtant inutiles ? Face à la « déraison de l’argent », « la paix est la qualité des hommes de mesure ».

    La présence de la question environnementale dans le texte :

    Les thèmes écologiques sont-ils centraux ou marginaux dans le texte ?

    Ce récit lucide de la conversion de la terre connue et cultivée en machine au rendement calculable, parce qu’il s’écrit dans l’urgence d’un appel lancé aux habitants et aux travailleurs de la terre pour échapper à la catastrophe, est un classique de ce qui n’a émergé que plus récemment comme « littérature écologique » à proprement parler. La conscience de ce que l’argent fait aux hommes et à la terre est déjà là, ce qui explique la réédition du texte dans une collection comme « Feuilles d’herbe ».

    Les événements liés à l’écologie sont-ils réels ou imaginaires ?

    Ce texte est on ne peut plus ancré dans le réel. Il expose fréquemment la logique « naturelle » du monde paysan, qu’il oppose à la logique superficielle qui le méprise et le domine. Solidement charpenté par les titres d’une démonstration précise et convaincante, avançant point par point, le propos n’est ni théorique ni abstrait : comme Aldo Leopold au même moment, Giono appuie son texte sur les récits des vies qui l’entourent, à commencer par ceux des destinataires de sa lettre, avec qui il semble dialoguer.

    Le texte fait-il apparaître des personnages assimilables à des figures typiques en lien avec l’écologie ?

    Il s’agit moins de personnages, le texte étant non-fictionnel, que de topoï. Rien n’est ici stéréotypique, et les paysans supposés vivre dans un monde immuable sont regardés comme à la veille d’un profond changement, d’un soulèvement pacifique. Le topos majeurest cette forme si caractéristique des non-fictions intéressées aux rapports entre hommes et terres, qui évoque le discours de Cassandre : la rhétorique judiciaire et même sermonnaire confère à la voix les inflexions visionnaires d’un jugement implacable sur l’histoire en train de se faire, jugement d’une pénétration confondante et d’une actualité toujours plus brûlante. Ce qui est mis en avant est l’efficace de la parole, qui n’est plus celle du conteur parlant à propos des paysans, mais celle de l’ami qui s’adresse directement à ces mêmes paysans.

    Citations

    «Que le paysan soit un plus grand homme qu’un capitaliste ne se discute pas : le capitaliste n’est pas un homme ; il n’exprime pas le monde et son ambition est précisément (au contraire de la définition même de l’homme) de ne pas l’exprimer. » (p. 51)

    « On n’ose plus aller directement du corps à la matière (comme le paysan va du corps à la terre), on ne peut plus accepter le difficile, accepter le chef-d’œuvre, désirer le franc contact avec le monde. On n’a plus de sens pour cette sensation-là. On ne peut plus admettre ce paisible héroïsme d’exprimer le monde avec la divine habileté des mains nues. Il faut qu’on interpose dans la liaison directe corps-matière des boucliers, des gants, des cagoules, des capuchons et des masques : les machines et le capital. On ne va plus directement, on fait le détour par le capital. Quand on pourrait aller directement du corps à la matière, et c’est la position naturelle, on fait le détour corps, capital, matière. Alors dans cette époque de facilité un peu lâche, le capitaliste a raison. » (p. 52)

    « Il ne peut pas y avoir convention d’échange s’il n’y a pas équilibre entre les matières échangées. Il ne peut pas y avoir équilibre quand, en face d’une valeur stable on peut faire varier la valeur d’échange de un à cinq sur une simple décision du gouvernement. » (p. 61)

    Mots-clefs

    paysans / violence / travail / argent / modernité / nourriture / faim / écologisme des pauvres

     

    Fiche réalisée par Bertrand GUEST                                    

    Catégorie générique

    Essai

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