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EcoLitt, le projet de recherche sur l'écologie en littérature


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    Gisèle Pineau - Morne Câpresse

    Gisèle Pineau - Morne Câpresse

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    Morne Câpresse

    Références de l'ouvrage

    PINEAU, Gisèle, Morne Câpresse,Paris, Gallimard, Folio, 2010, [Mercure de France, 2008], 336 pages.

    L’auteure

    Guadeloupéenne née à Paris en 1956, Gisèle Pineau passe son enfance en région parisienne. À l’adolescence, elle découvre la Martinique, puis la Guadeloupe, où ses parents s’installent définitivement. De retour à Paris en 1974, elle se lance dans des études de lettres qu’elle est contrainte d’abandonner. Elle obtient ensuite un diplôme d’infirmière en psychiatrie, un métier qu’elle continue d’exercer aujourd’hui encore.

    Gisèle Pineau est l’auteure de nombreux romans, comme La Grande Drive des esprits [Grand Prix des lectrices de Elle en 1994], L’Espérance-Macadam (Prix RFO en 1996) et Chair Piment (prix des Hémisphères Chantal Lapicque en 2002). Elle écrit également des ouvrages pour la jeunesse.

    Résumé

    En Guadeloupe, une jeune femme, Line, part à la recherche de sa petite sœur Mylène, disparue après avoir renié sa famille et sombré dans la drogue. Son enquête la mène d'abord dans le bidonville de Bas-Ravine, puis au sommet du Morne Câpresse, où s'est implantée la Congrégation des Filles de Cham, une communauté exclusivement composée de femmes fondée par la Sainte Mère Pacôme, revenue en Guadeloupe après des années d’esclavage parisien passées dans une cage de verre de la RATP. Après avoir cherché à recomposer sa fratrie éclatée, Pacôme s’emploie à réaliser sur sa terre natale la prophétie que lui ont soufflée ses « bons anges » : il s’agit de sauver les filles perdues et maltraitées de la Guadeloupe, alcooliques, violées, droguées ou battues. Trois jours durant, Line déambule, tantôt incrédule ou séduite, dans les méandres de cette utopie qui constitue l’inverse exact du « monde d'en bas ». Elle y découvre la possibilité d’une vie harmonieuse, écologiquement viable et saine, débarrassée des turbulences du siècle et de ses logiques de domination, mais soupçonne dans le même temps de potentielles dérives sectaires. Peu à peu, Line perçoit plus clairement les luttes d’influence et les rivalités qui travaillent en profondeur la congrégation. Sa visite au Morne Câpresse coïncide en réalité avec une crise de la communauté : la façade idéale se craquèle, les sœurs ne parviennent plus à cacher l’état de confusion psychique dans lequel se trouve la Mère Pacôme, certaines sont incapables de faire face à sa potentielle disparition – l’une d’entre elles finira même par se suicider. L’impossible utopie craque de toutes parts et explose à la fin du roman : un incendie ravage la maison de la mère Pâcome, et la médiatisation de l’événement révèlera à la face du monde l’envers obscur de la congrégation – infanticides, endoctrinement, trafic d’influence, etc. Pourtant, c’est dans l’expérience de la crise que Line parvient à accéder à sa propre mémoire : contre toute attente, elle retrouve sur place sa cousine Neel, et obtient à la fin du roman l’assurance du retour de sa sœur Mylène. D’autres personnages, comme les sœurs Sheryl et Zora, amantes et amoureuses, aspirent à une vie plus libre et sans contraintes. Le texte opère un réinvestissement libre des textes issus des mondes noirs et féminins, dont les Filles de Cham sont les héritières. Les femmes noires, principales victimes de la violence dans le monde d’en bas, occupent un lieu paradoxal : fondé sur une volonté d’effacer un passé de domination, il en conserve partout, jusque dans la distribution des rôles et de l’espace, la mémoire et la violence. L’éclatement de la communauté ouvre donc sur la liberté d’inventer un monde autre, relié, intégré et non-conformiste, qui ne soit pas conçu comme une échappatoire ou un refuge, ni comme une inversion ou un décalque du monde premier.

    La présence de la question environnementale dans le texte :

    Les thèmes écologiques sont-ils centraux ou marginaux dans le texte ?

    Ils ne sont ni centraux ni marginaux. Si l’écologie n’est pas le thème principal du roman, l’œuvre porte à tout moment un discours critique sur la société de consommation et ses ravages socio-écologiques. Elle évoque aussi des problèmes de racisme environnemental, lie la mémoire des sols et des corps, et fait des Filles de Cham les porteuses d’une conception sacralisée de la nature. Elle dessine également une utopie écoféministe qui, si elle échoue sur le plan narratif et est envisagée de manière critique, confère néanmoins au propos une portée profondément écologique.

    Les événements liés à l’écologie sont-ils réels ou imaginaires ?

    Réels : l’évocation répétée de la contamination des rivières et des sols par le Chlordécone ou le Paraquat, des pesticides destinés à lutter contre le charançon du bananier, fait référence au désastre écologique survenu dans les années quatre-vingt-dix avec la complicité de l’État français, dont Guadeloupéens et Martiniquais sont aujourd’hui encore les victimes. Les problèmes liés à la consommation du sucre, de la viande ou du lait de vache, bien qu’évoqués sur le ton artificiel du prêche, font également écho à des enjeux de santé publique bien réels. Enfin, les références à la mémoire environnementale de certaines communautés autarciques (dimension écologique du marronnage par exemple), bien qu’évoquées sur un mode accumulatif et parfois décousu, sont historiques.

    Le texte et/ou les images font-ils apparaître des personnages assimilables à des figures typiques en lien avec l’écologie ?

    Oui. La communauté que le texte dessine tisse un fort lien entre les femmes et la nature, celles-ci (en particulier la Sœur Bé, agricultrice) étant implicitement signifiées comme étant les gardiennes de celle-là – de sa mémoire, de sa pureté, de son caractère sacré et nourricier. Mais la narration met en échec ce lien ontologique, qui est envisagé sous le signe du soupçon, puis de l’impossible : comme les paysages, les femmes portent en elles la trace des violences dont elles sont prioritairement les victimes et ne sauraient à ce titre être idéalisées.

    Citations

    « Vous ignorez que le sucre est aux origines de l’esclavage aux Antilles… Avec le sucre, l’Homme a signé un pacte avec le Diable. Il s’est renié… Il a vendu son âme aux grand Satan, au Prince des Ténèbres, afin de faire fortune avec ce qui n’était même pas de la poussière d’or, même pas des pierres précieuses, même pas du pétrole, seulement du sucre… Il a demandé au Diable d’accoutumer le genre humain au goût sucré… Voilà comment cette tragédie a commencé ! Voilà comment la machine diabolique s’est mise en branle avant de s’emballer ! Que s’est-il passé par la suite ? En un moment, le sucre est devenu indispensable sur les tables de la vieille Europe. Tout le monde éprouvait le besoin de manger des mets sucrés… Et quand le sucre faisait défaut, on ressentait le manque, dans sa tête, au plus profond de son âme. On était prêt à se damner pour un sirop, une meringue, un café fort en sucre… Pourquoi ? Parce que le sucre donne l’illusion du bonheur. Quand on a le goût sucré dans la bouche, on savoure l’instant et on veut que ça dure. Plus rien n’a d’importance alentour. On est consolé de sa vie misérable. La réalité s’efface comme un mauvais rêve… Le monde et ses contours abrupts s’éboulent… On est seul, héros de sa petite histoire… » (pp. 142-143)

    « Grâce à Dieu, notre rivière a été épargnée des pesticides. Notre rivière n’a pas été contaminée par le chlordécone. Notre rivière n’a pas souffert du paraquat. Nous n’avons pas peur des charançons. Nous sommes les filles de Cham… Nous allons sauver le monde… » (p. 209)

    « Et depuis le temps qu’elle vivait sur le Morne Câpresse, la nature ne lui était plus hostile. Elle connaissait chaque pied-bois, chaque racine à fleur de terre, chaque roche un peu sournoise. Lorsqu’elle allait inspecter les potagers qui nourrissaient les filles de la Congrégation, elle n’avait pas besoin d’assistance. Les parfums de l’air lui révélaient la liste des légumes arrivés à maturité, de ceux qu’il fallait ramasser sans attendre. Le jardin vivrier n’avait pas non plus de secrets pour elle. Bé disait que l’heure de la récolte du manioc, des ignames ou des patates douces était venue, et les filles s’exécutaient. Du bout des doigts, elle palpait les gombos, les pois-canne, les cristophines et en ordonnait la cueillette immédiate. Elle décidait de la quantité de graines à mettre en terre, du nombre de rejetons de bananes à dessoucher, d’arbrisseaux à planter… Depuis dix-huit ans, la Congrégation vivait dans l’autosuffisance par la grâce de Sœur Bé qui savait, de manière intuitive, sans statistiques ni études de marché, combler tous les besoins des Filles de Cham. » (p. 314)

    Mots-clefs

    campagne / responsabilité humaine / agriculture / écoféminisme / écologie postcoloniale

     

    Fiche réalisée par Anne-Laure BONVALOT

    Catégorie générique

    Roman