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EcoLitt, le projet de recherche sur l'écologie en littérature


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    Belén Gopegui - Le Père de Blanche-Neige

    Belén Gopegui - Le Père de Blanche-Neige

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    Le Père de Blanche-Neige

    Références de l'ouvrage

    GOPEGUI, Belén, El padre de Blancanieves, Barcelone, Anagrama, 2007, 337 p. Pour la traduction française : Le père de Blanche-Neige, Paris, Seuil, 2010, 310 p., traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

    L’auteur

    Belén Gopegui, née à Madrid en 1963, est une romancière et essayiste dont l’œuvre est emblématique de l’actuel regain de vigueur que connaît en Espagne la fiction critique. La possibilité de l’engagement révolutionnaire dans le temps contemporain, l’écologie urbaine, l’incidence du capitalisme sur la construction de l’intériorité, les contours d’une subjectivité néolibérale, les potentialités politiques d’internet ou encore la possibilité d’une narration collective, constituent les thématiques privilégiées de son univers romanesque. Son travail, à la fois formel et théorique, sur les catégories de l’indicible et de l’impossible en littérature, en particulier sur le caractère normatif de la vraisemblance, vise à renouveler en profondeur le champ du réalisme, qu’il faudrait dès lors envisager non plus selon une logique de l’adéquation ou du reflet, mais à l’aune du critère de possibilité. L’auteure s’inscrit ainsi dans une perspective de rénovation active des formes et des langages du roman social. Réédité en 2015 en Espagne, Le Père de Blanche-Neige fait actuellement l’objet, à la faveur du récent développement des mouvements contestataires et des expériences alternatives qui y sont attachées, d’une fortune critique et d’une réappropriation nouvelles.

    Résumé

    Manuela, professeure de philosophie dans un lycée de Madrid, téléphone un matin au supermarché pour se plaindre du retard dans la livraison d’une commande qu’elle a préalablement effectuée. Le livreur concerné, un Équatorien prénommé Carlos Javier, est immédiatement licencié. Il se présente alors chez Manuela, et la rend responsable de sa condition. L’intrusion du livreur va ouvrir une brèche profonde dans le quotidien tranquille d’une mère de famille de classe moyenne. Manuela va tout quitter et entreprendre une manière de voyage social : partant travailler quelques mois dans un pressing de la banlieue madrilène, elle vit alors une expérience de désidentification dont elle reviendra profondément changée.
    Parallèlement à cette chronique d’une prise de conscience politique, le roman déroule l’histoire de Susana, la fille de Manuela, qui milite dans un groupe écologiste révolutionnaire. Le lecteur a accès à la correspondance entre les différents membres de l’organisation, mais aussi entre certains des membres et Enrique, le mari de Manuela qui espionne et désapprouve les agissements de sa fille au sein de la structure militante. Se déploie ainsi le récit polyphonique d’une expérience collective d’écologie urbaine : il s’agit de cultiver, sur un toit-terrasse de Madrid, de la spiruline – une algue absorbant du CO2 et libérant de l’oxygène dans l’atmosphère – en construisant pour ce faire un dispositif dédié constitué de photobioréacteurs.
    La narration alternée est en outre entrecoupée de « communiqués » émanant d’un narrateur collectif s’exprimant à la première personne. Ces communiqués fonctionnent comme des moments d’auto-définition ou de caractérisation du collectif, la forme même du narrateur évoluant au gré des succès, des obstacles ou des déconvenues que rencontre parallèlement le groupe de militants.

    Les deux récits principaux, celui de la construction d’une alternative socio-écologique et celui de la passivité coupable de la classe moyenne, sont antithétiques et finissent par entrer en conflit : les photobioréacteurs sont à la fin du roman détruits par Enrique, chez qui l’engagement militant et la bouffée d’oxygène qu’il constitue littéralement sont vécus comme un affront et une menace. Le roman propose ainsi une réflexion allégorique sur la responsabilité de la classe moyenne dans le statu quo écologique, politique et social caractéristique du temps contemporain.

    La présence de la question environnementale dans le texte :

    Les thèmes écologiques sont-ils centraux ou marginaux dans le texte ?

    Les thèmes écologiques occupent dans le texte une place centrale et font l’objet d’une lecture profondément politique. La construction d’un dispositif dépolluant sur le toit d’une boulangerie madrilène est le prétexte à de nombreux échanges et débats entre les personnages, dont la teneur dépasse le seul cadre logistique et technique de la mise en place du projet. Cette correspondance constitue une manière de réflexion par la mosaïque sur l’écologie urbaine, mais aussi sur la responsabilité de l’imaginaire de la classe moyenne dans l’actuelle morphologie des grandes villes, les notions de résilience urbaine ou d’habitabilité étant à ce titre nodales. Dans la mesure où l’écologie n’est jamais pensée indépendamment d’autres paramètres, comme l’immigration, la pauvreté, le genre, la classe, l’orientation sexuelle, le patriarcat ou plus généralement les formes de l’individuel et du collectif, on peut voir dans ce roman la matérialisation d’une perspective résolument écosocialiste et écoféministe. Le dispositif épistolaire qui structure le texte et la réflexion métatextuelle qui y est menée apportent aussi des éléments sur la possibilité d’un engagement cyberécologique.
    En outre, le narrateur collectif use de toutes sortes de métaphores naturalistes pour s’auto-définir : il est un centre de techno-biologie marine, mais aussi un rhizome, un agencement dynamique de micro-organismes se confondant avec le dispositif écologique en construction. La nature, dans son acception à la fois biologique et physiologique, fournit ainsi le modèle de l’engagement politique, les militants étant pensés comme les constituants d’une corporation intermittente qui cherche à se matérialiser au sein d’une construction écologique concrète.

    Les événements liés à l’écologie sont-ils réels ou imaginaires ?

    La construction de photobioréacteurs par les membres du groupe peut être lue comme exemplaire des nombreuses expériences d’écologie urbaine ou de pratiques collectives visant à la construction d’une ville résiliente et à la réappropriation de l’espace habitable, des pratiques qui fleurissent depuis quelques temps dans les grandes villes espagnoles. En outre, on trouve dans le texte des renvois vers des sites internet ou des blogs de militants, des témoignages réels de travailleurs opprimés, ou des allusions à des mobilisations politiques réelles visant à faire de l’espace urbain un lieu habitable par tous (mobilisation pour la gratuité du prêt dans les bibliothèques municipales par exemple).

    Le texte et/ou les images font-ils apparaître des personnages assimilables à des figures typiques en lien avec l’écologie ?

    Oui, puisque l’expérience de l’engagement militant est au cœur du roman. Les membres du groupe révolutionnaire sont des militants écologistes qui exposent au travers de leur correspondance, outre des connaissances techniques, leur vision du monde. Si seuls quelques-uns ont des compétences scientifiques dans les domaines de la biologie, de la physique ou de la biochimie, tous ont des idées pour minimiser par exemple la logique de la privatisation galopante de l’espace disponible.
    Le narrateur collectif, s’il n’est pas à proprement parler une figure typique, est protéiforme et adopte préférentiellement pour se décrire lui-même des topoï en lien avec l’écologie : centre de biotechnologie marine, il abrite des coupoles, des serres ; il se constitue en réservoir servant à la culture de micro-organismes, ou bien en lieu privilégié de développement du plancton, etc.

    Citations

    « Conviene adiestrarse en el arte de imaginar lo que existe. La mayoría de los sujetos tanto individuales como colectivos tendemos a pasar horas imaginando lo que no existe en el espacio y en el tiempo. Según parece, los sujetos individuales se inclinan a imaginar lo que no existe en el tiempo, como encuentros pasados o futuros con otros sujetos y cosas así. En cuanto a los sujetos colectivos, proyectamos estructuras espaciales inexistentes, pongamos la estructura de mí mismo cabalgando por la lejana montaña.  » (p. 214)

    « Il convient de pratiquer l’art d’imaginer ce qui existe. La plupart des sujets, tant individuels que collectifs, passent des heures à imaginer ce qui n’existe pas dans l’espace et dans le temps. Apparemment, les sujets individuels inclinent à imaginer ce qui n’existe pas dans le temps, comme des rencontres passées ou futures avec d’autres sujets, et autres événements de ce genre. Quant aux sujets collectifs comme moi, ils projettent des structures spatiales inexistantes, par exemple la structure de moi-même chevauchant la montagne lointaine.  » (p. 198)

    « No tiendo a materializarme en locales románticos. Más bien tender a veces sí tendería, pero no están disponibles. Locales fijos, me refiero. Lugares esporádicos sí hay: de tanto en tanto los seres colectivos militantes buscan territorio no asfaltado para algunos encuentros y reuniones y entonces, como un adolescente, adquiero todavía el privilegio de ocupar bosques, valles. He conocido incluso chimeneas no echadas a perder por la sofisticación del albergue de lujo o la rusticidad impostada. Hasta hogueras al aire libre he conocido, y he escuchado los pinares cuando es de noche. » (p. 329)

    « Je n’ai pas tendance à me matérialiser dans des locaux romantiques. Certes, c’est une tendance que j’aurais volontiers, mais ils ne sont pas disponibles. Je parle des locaux permanents. Car il ne manque pas de lieux sporadiques : de temps en temps, les êtres collectifs militants cherchent un territoire non goudronné pour certaines rencontres et réunions, et alors, tel un adolescent, je retrouve le privilège d’occuper des bois, des vallées. J’ai même connu des cheminées qui n’étaient pas massacrées par la sophistication de l’auberge de luxe et la rusticité factice. J’ai même connu des flambées en plein air, et j’ai entendu des pinèdes dans la nuit noire.  »  (p. 303)

    Mots-clefs 

    énergie / ville / responsabilité humaine

     

    Fiche réalisée par Anne-Laure Bonvalot

    Catégorie générique

    Roman

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